Trois (Conte Erotique - Chapitre 1)

 

Quand elle décida de lui en parler, il décida de le faire. Dès cet instant, elle n’en parla plus jamais. Dix jours plus tard, à la tombée de la nuit, une bouteille glacée de Dom, deux flutes pleines et une flute vide, les attendaient sur la table de la terrasse.  Conscient que la chaleur écrasante du crépuscule disperserait leurs sens dans les vapeurs d’alcool, il avait disposé un bol de fraises sur un lit de glace pour apaiser leurs estomacs. Il fallait toujours qu’il en fasse un peu trop. Entre autres diverses recommandations de son esprit tatillon, Il leur avait précisé qu’il faisait assez chaud pour ne pas porter de bas, et elles avaient bien sur, pris la remarque pour une invitation. Derechef, elles s’étaient précipitées au Bon Marché pour faire l'achat de dernière minute, mission: bas de soie. 

Pouffant dans leurs macarons, Ella et Madeleine entrèrent dans une cabine rococo du grand magasin. Madeleine repéra la caméra qu’elle camoufla d’un bonnet de soutien gorge. Bonne initiative pour une presque inconnue. Cette après-midi passée ensemble était de bon augure. Ella savait qu’il sentait toujours ses désirs avant qu’elle ne les exprime, et parfois même avant qu’elle en ait pris elle-même conscience. Riant aux éclats en déroulant la soie, Madeleine se pliait en deux, suppliant l’autre d’arrêter les pitreries car sa culotte commençait à se mouiller.  Ella ne comptait pas s’arrêter, mais un nuage de sueur découvert sur le flanc de sa nouvelle amie la déconcentra. L’humidité qui s’échappait plus intensément de son aisselle et de son sexe, renforçait l’odeur épaisse de son parfum de fleurs blanches. Ella assit Madeleine sur le tabouret de velour. L’autre riait encore très fort en plissant les paupières et en montrant les canines. Ella s’accroupie à ses pieds et posa sa tête sur le bord de l’assise. L'haleine encore sucrée et un peu amer de son macaron matcha, Ella s’offrit la vue imprenable des lèvres rieuses rose foncé sur le rouge brillant du tissu, alors que les éclats de Madeleine s'échappaient gentiment en decrescendo. Ella respirait déjà en elle, lui jetant probablement quelque sort malin. L’invitée se laissa faire en pleurant. Elle gémit de plaisir en reprenant sa respiration et démontra en quelques secondes qu’elle était prête à beaucoup.

Ella se sustentait de sel et d’eau. L'essence de Madeleine était citronnée et légère mais le goût de ses lèvres, comme ceux de ses aisselles, y ajoutaient une saveur de fruit trop mûr. Elle lécha largement les pétales de Madeleine en commençant par le bas puis, affinant son geste vers le haut, elle tourna le bout pointu de sa langue dans l’orifice minuscule et nettoya quelques gouttes de fou rire. Ce breuvage léger la mettant en appétit, elle s’attarda sur la petite fontaine, laissant la cascade grandir et dérouler son flot jusqu’aux entrées de lèvres. Madeleine respirait fort en se cabrant sur le velour rouge, à présent un peu plus sombre. Soudain, Ella reconnu ce son familier, celui des cordes vocales qui s’accolent pour vibrer au moment où les lèvres de Madeleine s’ouvraient pour libérer le flot soyeux. Ella était conquise, ne pouvant retenir sa pomme d'Adam de lâcher un éclat de plaisir pour la suite…

Soudain, un courant d'air frais tiédit la chaleur de la fleur de Madeleine. Un millimètre d'écart déchira leur étreinte, et suffit à créer un canyon entre les plis et les lèvres, entre les lèvres et les lèvres. Le velour lourdaud du salon privé ne bronchait pas d'un poil. Le vent venait donc du dedans. Ella leva ses yeux brouillés d'émanations et découvrit la bouche de Madeleine croquant une fraise givrée. "Quand est-ce qu'il arrive?".  Ella s'écarta un peu, bouche ouverte, abandonnant à regret le pistil gonflé de sa nouvelle amie. Sans réponse, elle regarda la fraise, le rouge Chanel, une graine du fruit entre deux dent, et plus haut, une constellation d'étoiles qui alourdissait cette soirée presque moite. Le rideau paresseux s'était levé sur la nuit. La coupole du Bon Marché avait disparue, aspirée par le firmament, alors qu'Ella sirotait Madeleine. "Il fait un peu chaud pour porter des bas, non?" rechigna la nouvelle. Ella comprit qu'il fallait faire taire Madeleine très vite avant que cette histoire ne leur échappe complètement. 

Il avait promis à Ella que Madeleine était une championne, que rien ne la ferrait flancher. Ella l'avait cru dur comme fer, et comme le reste, elle n'avait jamais douté un instant de sa détermination. Il avait l'art de la parole impeccable et de l'action solide. Les talents d'être là quand il était là et là quand il était ailleurs. C'était un savant des saveurs, un cuisineur de fantasmes. Il était connaisseur de femmes car il avait toujours admis l'impossibilité de les connaître vraiment.

Alors pourquoi ce millimètre, cet accident de terrain, qui laissait les questions faussement banales de Madeleine dégouliner maladroitement dans le canyon entre Paris et juin, entre jour et nuit, entre elle et lui. Ella était un peu agacée, mais toujours excitée par la vue du pistil, de la fraise, des dents. Madeleine était une corne d'abondance, un jouet de plaisir qui n'avait pas encore vraiment jouit. Ella réfléchit: "Il n'avait jamais saboté une histoire, il jouait toujours juste, bien que souvent risqué, mais ces personnages ne le trompaient jamais". Elle tenta une approche vers sa nouvelle petite cascade et avant qu'elle ne put y boire à nouveau, Madeleine se leva haute et droite: "Alors, il vient quand?". 

Ella se leva aussi, impatiente, et trébucha dans la bretelle du soutien gorge de Madeleine, qui pouffa gentiment. Il avait du tomber de la camera de surveillance à présent disparue dans la voie lactée, pour s'entortiller dans le talon de ses Rochas. La camera avait tout vu et tout emporté avec elle. Bon. Ella regarda Madeleine en face et lui demanda une fraise. Mieux valait occuper l'enfant pour éviter les questions. Le jeu l'emportait toujours sur le temps. De toute façon, Madeleine semblait indifférente au changement de décor, son long corps blanc immobile, les chevilles prisonnières de ses dentelles. 

Ella regarda la culotte, le soutien gorge. La grosse fraise que Madeleine glissa entre les lèvres pulpeuse d'Ella, stoppa les pensées. Madeleine était sincèrement gourmande. Oubliant vite ses jambes condamnées, la chaleur de la soie dans la moiteur de la nuit, elle éprouva un sentiment de fierté à rendre le plaisir qu'elle venait de recevoir. Elle fit alors glisser la fraise glacée sur les dents d'Ella, sur sa langue, et avant qu'Ella ne pu la croquer, Madeleine fit descendre le fruit sur la nuque de sa nouvelle maîtresse, sur la courbe des ses seins, sur ces tétons. "Les clichés ont du bon" songea Ella frémissante. Il savait ce qu'il faisait après tout. Glissant une jambe entre les jambes de Madeleine, son talon de métal chaussé dans les dentelles de sa culotte, Ella coinça la poupée pour qu'elle reste sage. Ses pensées l'avaient distraite. Pour se retrouver, elle ferma les yeux et découvrit la caméra du Bon Marché, nichée dans un coin sombre de ses paupières. 

Alors que le jus de la fraise fondait sur ses seins comme neige au soleil, Ella surprit Madeleine en enfilant trois doigts mouillés dans sa fente offerte, faisant disparaitre le rouge brillant de ses ongles fraichement manucurés, dans le rose pulpeux des pétales de sa proie. Madeleine ouvrit la bouche sans en laisser échapper un son, pendant que la nuit continuer à glisser, enveloppant la terrasse...

(A suivre)